De la visibilité depuis un monument historique

Un immeuble situé dans le champ de visibilité d’un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques ne peut faire l’objet d’aucuns travaux de nature à en affecter l’aspect sans une autorisation préalable. L’article L. 621-30 du Code du patrimoine dispose qu’est considéré comme étant situé dans le champ de visibilité de cet édifice protégé tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre déterminé par une distance de 500 mètres du monument. La présente décision apporte une précision à cette disposition que ni les textes ni la jurisprudence n’avaient jusque-là formulée, à savoir que la visibilité depuis un édifice classé ou inscrit s’apprécie à partir de tous ses points normalement accessibles conformément à sa destination ou à son usage.

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Commentaire de la décision CE, 20 janv. 2016, n° 365987, Commune de Strasbourg :

« 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile immobilière des docteurs Pagot-Schraub et associés est propriétaire d’une parcelle située au 4 rue de l’Eglise à Strasbourg ; que le maire de Strasbourg lui a délivré par un arrêté du 4 septembre 2007 un permis de démolir, par un arrêté du 14 septembre 2007 un permis de construire et par un arrêté du 21 mai 2008 un permis de construire modificatif ; que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. et MmeA…, propriétaires de la parcelle voisine, tendant à l’annulation du permis du 14 septembre 2007 et du permis modificatif du 21 mai 2008 ; que, par un arrêt du 13 décembre 2012, la cour administrative d’appel de Nancy, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu’il a rejeté les conclusions de M. et Mme A…tendant à l’annulation des permis en cause, a annulé ces derniers puis a rejeté le surplus de la demande de M. et MmeA… ; que la commune de Strasbourg et la société civile immobilière des docteurs Pagot-Schraub et associés se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;
2. Considérant que les pourvois de la commune de Strasbourg et de la société civile immobilière des docteurs Pagot-Schraub et associés sont dirigées contre le même arrêt ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
3. Considérant que, devant les juridictions administratives et dans l’intérêt d’une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l’instruction, qu’il dirige, lorsqu’il est saisi d’une production postérieure à la clôture de celle-ci ; qu’il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser ; que, s’il décide d’en tenir compte, il rouvre l’instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu’il doit, en outre, analyser ; que, dans le cas particulier où cette production contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et qui est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d’irrégularité de sa décision ;
4. Considérant qu’en l’espèce, la société civile immobilière des docteurs Pagot-Schraub et associés a produit un mémoire, enregistré le 20 novembre 2012 au greffe de la cour administrative d’appel de Nancy, soit après le 19 novembre 2012, date de la clôture de l’instruction devant cette cour en application de l’article R. 613-2 du code de justice administrative ; que si ce mémoire comportait en annexe des photographies venant au soutien de son argumentation relative à la visibilité de la construction projetée depuis la cathédrale, il ne ressort pas des pièces du dossier que la société n’aurait pas été en mesure d’en faire état avant la clôture de l’instruction ; que, par suite, en refusant de rouvrir l’instruction après l’enregistrement du mémoire de la société, la cour n’a pas entaché son arrêt d’irrégularité ;
Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-31 du code du patrimoine :  » Lorsqu’un immeuble est situé dans le champ de visibilité d’un édifice classé au titre des monuments historiques ou inscrit, il ne peut faire l’objet, tant de la part des propriétaires privés que des collectivités et établissements publics, d’aucune construction nouvelle, d’aucune démolition, d’aucun déboisement, d’aucune transformation ou modification de nature à en affecter l’aspect, sans une autorisation préalable  » ; qu’aux termes de l’article R. 425-1 du code de l’urbanisme  » Lorsque le projet est situé dans le champ de visibilité d’un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques (…) le permis de construire, le permis d’aménager, le permis de démolir ou la décision prise sur la déclaration préalable tient lieu de l’autorisation prévue à l’article L. 621-31 du code du patrimoine dès lors que la décision a fait l’objet de l’accord de l’architecte des Bâtiments de France  » ; qu’aux termes de l’article L. 620-30-1 du code du patrimoine :  » Est considéré, pour l’application du présent titre, comme étant situé dans le champ de visibilité d’un immeuble classé ou inscrit tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres  » ; que la visibilité depuis un immeuble classé ou inscrit s’apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’en estimant que la visibilité depuis la cathédrale s’appréciait aussi à partir de sa plate-forme, située à 66 mètres de hauteur, la cour n’a ni commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les pièces du dossier soumis au juge du fond dès lors que cette plate-forme était accessible conformément à l’usage du bâtiment ; que le fait qu’elle a, par ailleurs, relevé la circonstance, inopérante, que cette plate-forme était normalement accessible au public, est sans incidence sur le bien-fondé de son arrêt ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu’en se fondant, pour estimer que le projet de construction litigieux était visible depuis la plate-forme de la cathédrale de Strasbourg, sur une photographie de l’emplacement de la construction projetée et un rapport établi par un ingénieur-géomètre, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des éléments de fait produits devant elle, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui étaient soumises ; que cette appréciation ne saurait être remise en cause au vu de pièces produites pour la première fois en cassation ;
8. Considérant, enfin, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’avis de l’architecte des bâtiments de France du 28 août 2007 sur le projet en litige n’a pas pris en compte la visibilité de ce dernier depuis la cathédrale de Strasbourg ; que c’est, dès lors et compte tenu de ce qui précède, sans commettre d’erreur de droit que la cour a jugé que cet avis ne permettait pas de s’assurer qu’un contrôle prenant en compte ce monument classé avait bien été réalisé par cet architecte et qu’ainsi l’autorisation prévue par les articles L. 621-31 du code du patrimoine et R. 425-1 du code de l’urbanisme ne pouvait être regardée comme ayant été régulièrement accordée(…)« 

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Commentaire publié dans la revue JCP A n°35 du 5 septembre 2016

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