Permis de construire et fraude

Le recours à la fraude dans l’obtention des permis de construire est très risqué. Le pétitionnaire qui se livre à des manœuvres frauduleuses pour obtenir son permis de construire peut se voir retirer son autorisation à tout moment.

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Un permis de construire obtenu frauduleusement est entaché d’illégalité et peut, en conséquence, être retiré à tout moment.

Il existe trois catégories de fraude en matière de permis de construire aux caractéristiques et aux conséquences communes.

 

 

I – La caractérisation de la fraude

 

Un permis de construire illégal n’est pas forcément un permis de construire obtenu frauduleusement[1]. Loin de là.

Il y a fraude lorsque le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité de son projet ou sur sa qualité, dans le but d’obtenir son permis de construire ou d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme[2].

Certes, une information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s’étant livré à l’occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l’administration[3].

Mais en réalité, s’il est démontré que sans cette information erronée l’administration n’aurait pas délivré le permis de construire alors la fraude sera bien souvent reconnue.

Ainsi, dans une affaire où le niveau du sol indiqué sur les plans de coupe joints à la demande de permis de construire ne correspondait pas au niveau existant à la date du dépôt de cette demande, la fraude a été retenue car sans cette erreur le permis de construire n’aurait pas été délivré[4].

De même, dans une affaire où le pétitionnaire s’était appuyé sur une promesse de vente, devenue caduque, pour déposer sa demande de permis de construire la fraude a été reconnue dès lors que si l’administration avait été au fait de cette caducité elle n’aurait pas délivré l’autorisation sollicitée[5].

Pour finir, on précisera que la fraude est établie même si l’autorité administrative qui a instruit le dossier était au fait (ou est censé l’être) des manœuvres frauduleuses commises par le pétitionnaire. La fraude est établie au regard des pièces contenues dans le dossier de permis de construire. Ainsi, une autorisation portant sur des ouvertures et façades d’une maison à usage d’habitation a été jugée comme ayant été obtenue frauduleusement car la demande ne faisait pas état de l’extension de cette habitation réalisée sans autorisation. Le fait que l’autorité administrative n’ignorait pas l’illégalité de cette extension, dès lors qu’elle avait dressé un procès-verbal d’infraction pour la réalisation de cette extension, a été considéré sans effet sur le caractère frauduleux de la demande d’autorisation[6]

 

 

II – Les trois catégories de fraude

 

A – La fraude liée la qualité du demandeur

 

Par principe, les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il a la qualité pour formuler la demande de permis de construire (à par exemple une telle qualité le propriétaire du terrain ou son mandataire).

Les permis de construire, qui a pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’il autorise avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordé sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité administrative de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur. De sorte que le pétitionnaire qui fournit l’attestation qu’il a la qualité pour déposer la demande de permis de construire doit être cru.

On ne peut ainsi contester un permis de construire au motif que l’administration n’aurait pas vérifié l’exactitude des information contenues dans l’attestation requise[7]. Il va en toutefois différemment en présence d’une fraude.

La fraude a ainsi été reconnue dans une hypothèse où la demande de permis de construire avait été formulée par un locataire alors même que le propriétaire des lieux s’opposait à la réalisation des travaux en cause[8].

Elle n’a en revanche pas été retenue dans une hypothèse où le pétitionnaire n’avait pas justifié avoir obtenu l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires pour des travaux affectant les parties communes d’une copropriété régie par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis[9].

 

 

B – La fraude liée à la composition du dossier de permis de construire

 

Il y a également fraude lorsque le dossier de permis de construire comprend des erreurs, des omissions ou des inexactitudes qui ont eu pour effet d’induire en erreur l’administration dans l’examen du dossier de permis de construire. La fraude sera caractérisée s’il est démontré que, sans l’erreur qu’elle a commise, l’administration n’aurait pas pris la même décision.

Un permis de construire portant sur la construction d’un bâtiment annexe a été considéré comme ayant été obtenu frauduleusement dès lors que le document d’urbanisme applicable n’admettait qu’une seule annexe sur une même propriété. Or, dans cette affaire, il existait déjà un bâtiment annexe sur la propriété du pétitionnaire qui n’apparaissait cependant pas dans le dossier de permis de construire[10].  

La fraude n’a en revanche pas été retenue dans une affaire où il était soutenu que le dossier de permis de construire ne précisait pas que le projet portait sur un établissement recevant du public, ce qui était interdit par le règlement d’urbanisme. Pour ce faire, le juge a pris en compte le fait qu’il était bien précisé que les locaux projetés devaient être destinés au logement et à une activité commerciale ou artisanale d' » atelier dessin, peinture, modelage  » et qu’en raison de l’activité d’enseignement du pétitionnaire l’administration ne pouvait ignorer la nature exacte du projet[11].

 

 

C – La fraude liée à la réalité du projet

 

Un permis de construire n’a d’autre objet que d’autoriser la construction d’immeubles conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire.

La circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que ces constructions risqueraient d’être ultérieurement transformées ou affectées à un usage non-conforme aux documents et aux règles générales d’urbanisme n’est pas par elle-même de nature à affecter la légalité de celui-ci.

On ne peut ainsi pas attaquer un permis de construire au motif que la construction du bâtiment ne correspondrait pas à ce qui était prévu dans le dossier de permis de construire (ce n’est pas le permis de construire qui sera sanctionné dans cette situation mais l’auteur des faits en application des dispositions pénales figurant dans le code de l’urbanisme)

Ce principe connaît une exception lorsqu’on est en présence d’une fraude[12].

Dans cette hypothèse, la fraude est caractérisée s’il est établi que dès le dépôt de la demande de permis de construire le pétitionnaire avait l’intention de réaliser un projet différent de celui présenté dans son dossier de permis de construire.

La difficulté réside donc dans l’établissement de la preuve.

Ainsi, s’agissant d’un permis de construire portant sur un bâtiment à usage agricole destiné au stockage de fourrage pour les bovins, le fait que dès l’achèvement de la construction ce bâtiment fut affecté à un usage autre (l’occupation par des bovins) que celui initialement prévu n’a pas été de nature à caractériser une fraude[13].

En revanche, la fraude a bien été reconnue dans une affaire où des travaux sans autorisation, destinés à l’aménagement de cinq gîtes dans deux bâtiments existants à usage d’habitation, avaient été réalisés. A la suite de ces travaux, une demande de permis régularisation avait été déposée afin de créer des logements saisonniers aux fins d’occupation personnelle. Le caractère frauduleux de la demande a été admis dès lors, d’une part, qu’une visite sur les lieux avait permis de constater l’usage réel des bâtiments (des gites proposés à de la location) et que, d’autre part, il apparaissait qu’à la date du dépôt de la demande de permis de construire le pétitionnaire proposait sur son site internet ces gites à de la location[14].

 

III – Les conséquences de la fraude sur le permis de construire

 

La fraude entache bien évidemment le permis de construire d’illégalité. Mais surtout, elle a pour effet d’ôter au permis de construire son caractère définitif.

Celui-ci pourra ainsi être retiré à tout moment, sans condition de délai.

On rappellera à cet égard que l’autorité administrative qui a délivré le permis de construire dispose d’un délai de trois mois, à compter de la date à laquelle il l’a délivré, pour le retirer s’il est illégal[15].

Quant au préfet et au tiers, ils disposent en principe d’un délai de deux mois, à compter de la réception du permis de construire pour le premier[16] et à partir du premier jour de l’affichage du permis sur le terrain, pour le second[17], pour le contester.

Passé ces trois délais il n’est en principe plus possible de remettre en cause le permis de construire délivré, même illégal. Considéré comme définitif, on dit qu’il est purgé de tout recours

Or, un permis de construire entaché de fraude pourra être remis en cause, sans condition de délai, par l’autorité administrative.

Un tiers peut ainsi, à tout moment, demandé à l’autorité administrative de procéder au retrait d’un permis de construire obtenu frauduleusement. Si celle-ci refuse, un recours pourra être formé contre cette décision. Il reviendra alors au juge, si la fraude est établie, de contrôler que l’appréciation de l’autorité administrative sur l’opportunité de procéder ou non au retrait n’est pas entachée d’erreur manifeste. Pour ce faire, il prendra notamment en compte la gravité de la fraude et les atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien du permis litigieux soit de son retrait[18].

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[1] CAA Lyon, 31 juillet 2012, n° 11LY02927

[2] CE, 9 octobre 2017 Société Les Citadines, n° 398853CE, 16 août 2018, Société NSHHD, n° 412663

[3] CE, 16 août 2018, Société NSHHD, n° 412663

[4] CE, 27 octobre 2000, n° 195651

[5] CE, 9 octobre 2017 Société Les Citadines, n° 398853CE 5 févr. 2018, Sté Cora, n° 407149

[6] CE, 26 avr. 2018, Parrain-Colombani, n° 410019

[7] CE, 23 mars 2015, Epoux Loubier, n° 348261

[8] CE 6 décembre 2013, n° 354703

[9] CE, 5 févr. 2012, n° 333631CAA Lyon, 8 mars 2016, n° 14LY02156

[10] CAA Lyon, 8 mars 2016, n° 14LY02156

[11] CAA Lyon, 31 juillet 2012, n° 11LY02927 

[12] CE, 13 novembre 1992, commune de Nogent sur Marne, n° 110878CE, 13 juillet 2012, n° 344710

[13] CE, 13 juill. 2012, Egret, n° 344710

[14] CE, 3 juin 2013, Commune de Lamastre, n° 342673

[15] Article L. 424-5 du code de l’urbanisme.

[16] Article L. 2131-6 du CGCT

[17] Article R. 600-2 du code de l’urbanisme

[18] CE 5 févr. 2018, Sté Cora, n° 407149